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le blog de Simon Loueckhote

Une fenêtre sur la Nouvelle-Calédonie : politique, santé, social, éducation, francophonie, économie

Hommage à Pierre Messmer

Publié le 5 Septembre 2016 par Loueckhote Simon in Mémoires

Par Henri Guaino lors d'un discours prononcé le 3 septembre 2016 à Sarrebourg 
 

S’adressant à Pierre Messmer avant de faire son éloge, Maurice Druon lui dit un jour : « Je connais votre horreur des compliments et des louanges. Vous avez dit un jour, avec un humour gaullien : je n’aime pas les coups d’encensoir. Cela fait mal à la tête ». Mais vous ne pouvez empêcher qu’on reconnaisse et célèbre en vous le très grand Français que vous êtes. Le pays a besoin d’exemples, et les hommes qui en fournissent sont rares. Vous êtes l’un deux. Alors, acceptez donc de subir ce rappel de ce que vous fîtes et de noble et de grand ».
Aujourd’hui la ville de Sarrebourg, dont il fut pendant 18 ans le Maire, lui rend hommage avec cette statue qui rappellera à jamais son souvenir et à travers lui le souvenir des héros et des grands serviteurs de l’Etat de sa génération à laquelle la France doit tant.
Sur le socle, j’écrirais volontiers sous le nom de Pierre Messmer, à l’adresse de la jeunesse « En hommage à ces hommes si rares qui à chaque époque se sont levés avec courage dans les profondeurs du peuple français pour en incarner l’honneur et en défendre la liberté, ces hommes que dans l’épreuve nous attendons de nouveau avec impatience et qui tardent tant à se lever comme si le gisement en était épuisé, comme si l’énergie nationale s’était affaiblie au point de n’en plus produire aucun de cette trempe. »
La figure de Pierre Messmer, comme celles de ses compagnons, grandit avec la médiocrité des temps, la bassesse des attitudes, la petitesse des sentiments. Si tout ce qui n’a pas de prix n’a plus de valeur, comment comprendre ces femmes et ces hommes qui disaient : « nous n’avons fait que notre devoir ».
Petit-fils d’un Alsacien qui en 1871 avait quitté sa terre natale parce qu’il voulait rester Français, il ne cessera jamais d’aimer le France au point d’être prêt à tout lui sacrifier. 
Toute sa vie illustrera ce que veut dire se faire « Une certaine idée de la France ». A partir de 1940, pas une période de son existence qui ne soit consacrée à la servir, pas un instant où ce qu’il accomplit n’ait à voir avec sa grandeur, son prestige, son indépendance.
Officier de la France libre, administrateur des colonies, ministre des Armées, Premier Ministre, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques, Chancelier de l’Institut, membre de l’Académie Française où il succède à Maurice Schumann : tant de grandes vies en une seule, tant de batailles pour un seul et même combat. 
Il commence de 17 juin 1940, le jour de l’Armistice. 
« Mon grand-père dira-t-il avait refusé de rester en Alsace et était passé en France. Moi, je refuse de rester en France après l’Armistice et je passe en Angleterre pour rejoindre les Forces françaises libres ». 
Il est lieutenant. Avec son ami, Jean Simon, futur général et chancelier de l’Ordre de la Libération, ils volent une moto, s’embarquent à Marseille sur un bateau italien confisqué par la marine française qu’ils détournent vers l’Angleterre. 
Ils font partie de ces quelques centaines de jeunes français auxquels le Général de Gaulle dira « je ne vous féliciterai pas d’être venus, vous n’avez fait que votre devoir » et qui ne savaient au fond qu’une chose des raisons pour lesquelles ils étaient là, c’est qu’ils voulaient se battre pour une étrange fierté que la France à leur yeux avait perdue. 
Ils ne se posaient pas la question de savoir s’ils allaient gagner. Ils étaient là parce qu’ils sentaient qu’ils devaient y être en vertu d’une force mystérieuse, celle peut-être que jadis on appelait « le sens de l’honneur » et qui faisait les hommes debout.
Tout poussait Pierre Messmer à s’engager dans l’épopée des Français libres.
Il le racontera plus tard : « Est-ce rejet de cette vie familiale paisible et confortable ?
Est-ce l'exemple du grand-père qui avait tout sacrifié pour ses idées et sa patrie, était resté pauvre et ne s'en plaignait jamais ? 
J’ai senti très jeune le besoin des grands espaces. 
La mer, les déserts, le goût de l'aventure avec ses rêves, ses joies et ses dangers. » 
A la tête d’une compagnie de la Légion Etrangère, il est à Bir Hakeim, à El Alamein. 
Il s’insurge quand les chefs sacrifient inutilement la vie des soldats.
Il se bat. Il est heureux. 
« J’étais officier de troupe, dira-t-il, et je voulais le rester ». 
Il aime la fraternité des armes. 
Il relit Lawrence d’Arabie, les Sept piliers de la sagesse. 
Mais, il gardera de la campagne de Syrie le douloureux souvenir d’une lutte fratricide et il reconnaîtra dans cette douleur la terrible faute morale de Vichy et de la collaboration qui fait tuer des Français par des Français. Après l’Afrique, la France, l’Indochine …Il est capturé par le vietminh. Il s’évade…
Dans ses cantines, durant toute la guerre, les poèmes de Péguy. 
Combien de fois a-t-il dû se réciter ces vers du poète mort d’une balle en plein front au début de la grande guerre : 
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu. 
Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement,
Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu.
Car cet aveu d'honneur est le commencement
Et le premier essai d'un éternel aveu. »
Il écrit « Je suis heureux parce que je suis certain avec toute la brigade que nous serons bientôt engagés dans une grande bataille. (…) Malgré deux jours de combat, deux jours sans sommeil, je ne sens pas la fatigue, mais une sorte d’exaltation. (…) Il y a des moments de grâce, si je puis dire. Il y a des états de grâce à la guerre comme en temps de paix, des moments où je n’avais pas peur, même dans le danger, et d’autres où j’avais peur ».
La guerre finie, De Gaulle reparti à Colombey, le régime des partis réinstallé, il perçoit d’emblée la faiblesse de la IVème République : l’incapacité de décider. 
Malraux dira : « les politiciens contournent toujours l’obstacle ». 
Mais il y a l’Indochine, l’Algérie … L’indécision se révèle mortelle. 
Il repart en Afrique. 
Il dira d’elle : « j’ai aimé les Africains comme des frères et l’Afrique comme une seconde patrie. » 
Toujours confronté depuis 1940 à la question du conflit entre la légitimité et la légalité, il observe à quel point dans des pays divisés en ethnies, en tribus, en religions antagonistes, l’élection ne règle rien comme nous le rappellent l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, le Rwanda… Il approche les mystères de l’Afrique noire isolée du reste du monde jusqu’au XXème siècle et dont les structures économiques, sociales et politiques ont volé en éclats. Mais les Africains dit-il « ont gardé leur élan vital incomparable, leur infinie capacité de souffrance, leur solidarité familiale et tribale forte et leur sentiment national faible, leurs religions traditionnelles en déclin apparent mais imprégnant le Christianisme et l’Islam des nouveaux convertis. » 
Et il note « le syncrétisme est une forme de génie africain. Pourquoi ne s’appliquerait-il pas à la politique ? Les Dieux de l’Afrique ne sont pas morts. Pour survivre ils se cachent sous d’étranges déguisements. » 
A méditer par les prophètes de l’aplatissement du monde et les idéologues du modèle unique de démocratie avec leur bonne conscience en bandoulière qui dans l’Histoire a causé tant de malheurs. 
Il est gouverneur de la Mauritanie, gouverneur de la Côte d’Ivoire. 
Haut-Commissaire au Cameroun, en Afrique Equatoriale, en Afrique occidentale. Il écrira « J’ai compris que d’autres peuples avaient, comme le mien, le goût de la liberté. Il était absurde, coupable et contraire à la vocation comme aux intérêts de la France de s’y opposer. Le colonial que j’étais est ainsi devenu acteur de la décolonisation. »
En 1960, il est Ministre des Armées du Général de Gaulle.
Il le restera neuf ans.
Incarnant par son passé de combattant, son patriotisme, la fermeté de son caractère, son courage, sa rigueur, les plus belles valeurs militaires.
Face au drame algérien, il s’interroge : « les sentiments qui m’ont porté de 1939 à 1945, patriotisme, volonté de vaincre peuvent-ils encore m’inspirer en Algérie après l’Indochine ? Seul me soutient le vieil honneur militaire qui impose qu’un soldat aille jusqu’au bout de sa longue et lourde tâche, quoi qu’il en coûte. Et aussi ma volonté de retenir dans le devoir mes camarades de guerre qui servent en Algérie et que je sens au bord de la révolte. » 
Il connait les horreurs de la guerre mais il combattra la torture.
Un homme vrai. Un vrai ministre qui fait corps avec l’armée, avec l’Etat, avec la Nation dans un temps où il y avait de vrais ministres, un vrai gouvernement, un vrai Chef de l’Etat, et pour tout dire un Etat qui permet à la France de ne pas se défaire dans l’épreuve. 
Un Etat qui résiste à la guerre d’Algérie, à l’OAS, à mai 1968.
Le ministre loyal, discipliné garde au cœur une blessure : le sort des Harkis et des supplétifs abandonnés aux tueurs du FLN qui n’hésitent pas à violer les accords d’Evian et le mauvais accueil, souvent indigne, fait à ceux qui parviennent à gagner la France après s’être tant battus pour elle. 
En 1971, il est Ministre de l’Outre-mer dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas.
La même année, il est élu Maire de Sarrebourg.
En 1972, Georges Pompidou le choisit comme Premier Ministre.
A la mort de celui-ci, il hésite à se présenter à la Présidence de la République.
On le pousse.
Dans ses mémoires, il confie avec une humilité qui exprime la grandeur morale de cet homme qui n’était décidemment pas un politicien « Depuis le début de ma vie active j’avais toujours eu conscience de dominer ma fonction, grande ou petite, donc d’être capable de l’assumer au mieux, ce qui me donnait assurance et autorité. Pour la première fois, depuis mon entrée à Matignon, je n’étais plus sûr de moi et je devais me poser la question : serais-je capable d’être Président de la République ? La réponse n’était pas évidente. »
Il renonce. Certains y voient de la faiblesse. C’est de la force de caractère !
Trop de manœuvres, trop de jeux de pouvoir, de cynisme pour cet homme qui a toujours simplement voulu servir son pays. 
Il ne sera plus jamais ministre.
Il poursuit sa carrière politique jusqu’à sa défaite aux élections législatives de 1988.
Au journaliste et écrivain gaulliste Philipe de Saint Robert qui lui fait part de sa déception, il adresse cette lettre : 
« Cher Ami, 
Merci pour votre lettre à laquelle j’ai été fort sensible.
En démocratie, la dignité des responsables politiques tient à ce qu’ils se remettent en question, périodiquement, à l’occasion d’élections. 
Cet exercice comporte des risques : d’autres - et non des moindres - en ont fait l’expérience avant moi.
Cela dit, je n’ai plus le goût de la vie politique et il est possible que les électeurs l’aient senti.
Quoi qu’il en soit, ayant l’habitude de prendre les situations par le bon côté - ce qui n’est pas votre cas - j’en ai profité pour m’accorder six semaines de vacances en Bretagne ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps… » 
Il tiendra parole.
En 1995, il est Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques.
En 1998, Chancelier de l’Institut.
En 2000, il entre à l’Académie Française au fauteuil de Maurice Schumann.
François Jacob, prix Nobel de médecine, chargé du discours de réception, l’accueille ainsi : « notre compagnie accueille aujourd’hui le premier légionnaire de son histoire. » et par ces vers de Racine :
« Libres de leur victoire et maîtres de leur foi.
L’intérêt de l’État fut leur unique loi. »
Et par ces mots : 
« Votre vie ressemble bien souvent à une bande dessinée. Et vos mémoires se lisent comme un roman d’aventure ».
« Derrière la diversité des fonctions et des personnages, on trouve une grande unité de ton et de style. En atteste le témoignage de ceux qui, ici ou là, à une époque ou à une autre, vous ont connu : même masque d’empereur romain teinté d’une touche de Jean Gabin ; même voix de bronze dont on peut dire ce que Marcel Pagnol disait de Tino Rossi : « Sa voix porte sur les hormones des dames » ; même regard bleu et direct ; même franchise ; même réalisme ; même autorité naturelle ; même énergie ; même courage ; même curiosité ; même esprit toujours en éveil. »
A ce vieux soldat, ce serviteur de l’Etat qui avait conclu lui-même son hommage à son prédécesseur, son compagnon dans l’ordre de la Libération, par ces mots d’Antigone qui sont les plus beaux de la tragédie grecque « je ne suis pas venue pour partager la haine mais pour partager l’amour », François Jacob adresse cet hommage dans lequel tous ceux qui l’ont croisé et qui l’ont aimé le reconnaîtront et qui ne peut que nous conduire à juger sévèrement notre époque et tous ceux qui ont dilapidé cet héritage d’exemplarité et de vertu.
« Courage tant moral que physique, force de caractère, ténacité, réalisme, droiture, générosité, modération, désintéressement ont toujours animé votre action. Votre itinéraire d’exception, ce que j’appelais tout à l’heure la bande dessinée, peut servir de modèle à qui en cherche. On entend souvent le public se plaindre du personnel politique et, en particulier, de l’écart entre ce qui est dit et ce qui est fait. Vous avez illustré une certaine manière de faire la politique, au sens propre, c’est-à-dire de s’occuper des affaires publiques, de vivre dans la cité ; bref de faire le métier d’homme. Vous avez ainsi bien servi votre pays. »
Dans ses cantines, les poèmes de Péguy… 
Et dans le cœur cette espérance sans laquelle une vie pareille n’est pas possible. 
La flamme de la résistance…
Celle de la vertu d’espérance, car l’espérance est une vertu comme dit Péguy :
« Quelle ne faut-il pas que soient ma grâce et la force de ma grâce pour que cette petite espérance, vacillante au souffle du péché, tremblante à tous les vents, anxieuse au moindre souffle, soit aussi invariable, se tienne aussi fidèle, aussi droite, aussi pure; et aussi invincible, et immortelle, et impossible à éteindre ; que cette petite flamme du sanctuaire.
Qui brûle éternellement dans la lampe fidèle.
Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes.
Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps.
Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits.
Depuis cette première fois que ma grâce a coulé pour la création du monde.
Depuis toujours que ma grâce coule pour la conservation du monde.
Depuis cette fois que le sang de mon fils a coulé pour le salut du monde.
Une flamme impossible à atteindre, impossible à éteindre au souffle de la mort. »
L’espérance est une vertu. Une vertu héroïque ajoute Bernanos.
Et depuis que la race des hommes comme Pierre Messmer est disparue, remarquez bien que cette vertu est particulièrement héroïque. 
Des épreuves naîtront sans doute d’autres de ces hommes qui font espérer parce qu’ils espèrent eux-mêmes avec une force contagieuse. 
Mais en attendant ?...

 

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